À l’occasion du soixante-quinzième anniversaire du « D-Day, » les médias nous ont longuement commenté cet évènement si important pour notre pays. C'est le 6 juin 1944 que les troupes alliées débarquèrent sur nos plages normandes et, au prix de longs et durs combats et de nombreuses victimes, nous ont libérés du joug ennemi. Comme toutes les communes de France, Caudan a aussi vécu son « débarquement ». Madame Yvonne Bouric-Offredo, caudanaise, actuellement sur Pont-Scorff, est l'une des très rares personnes toujours parmi nous à avoir vécu ces événements si marquants. Elle en a fait un long témoignage dont nous nous faisons l'écho aujourd'hui, enrichi de quelques précisions de l'abbé Jeffredo, recteur alors de N.D. du Pont et devenu curé administrateur de notre paroisse au départ de l'abbé Bayon, âgé et malade.

À leur arrivée sur le sol français, les troupes de libération se scindèrent. Un corps d'armée américain prit la direction de l'extrême ouest du pays avec pour objectif de repousser le plus rapidement possible l'ennemi jusqu'au frontières de l'Est. Le 4 août, ces combattants étaient à Ploërmel, le 5 à Languidic, le 6 à Saint-Gilles, Hennebont et Pont Scorff. Le dimanche 7 août, vers 18 heures, les premiers chars alliés firent leur entrée à grand bruit dans le centre bourg. « Est-ce possible ?… On est fous de joie, on monte en courant sur la place puisqu’on nous dit qu'il n'y a pas de danger. Les libérateurs nous distribuent des bonbons, des chewing-gums, du chocolat. Ma sœur Marie a juste le temps de prendre deux photos de la fenêtre de sa chambre... ». (Leur maison se situait un peu plus bas que l'actuel PMU. Sur la photo, le char se trouve à l'emplacement actuel du Crédit Agricole). Ce fut une première occasion pour beaucoup de faire connaissance avec des gens d'un autre continent, d'une autre couleur de peau.

D Day

Du haut de la Tour de la Découverte de Lorient, les Allemands ont pu voir tous ces mouvements et la réplique ne se fît pas attendre : ils firent subir au bourg un bombardement intensif. Il y eut une vingtaine de morts et blessés, dont plusieurs pompiers de la Marine. Sœur Hélène, l'infirmière, se dépensa sans compter au risque de sa vie, avec le peu de moyens dont elle disposait. Mais « où sont passés nos alliés ? ». En fait leurs chars se sont arrêtés à Kerbéban, en face de l'ennemi bien campé à Manéhuillec où il disposait d'une forte artillerie. Voulant éviter un affrontement, ils rebroussèrent chemin. Les spécialistes disent aujourd'hui qu'ils auraient pu sans difficulté majeure libérer Lorient.

La population se réfugia dans l’abri de l'école Saint-Joseph. Cet abri, actuellement comblé, avait été creusé par l'organisation Todt dans la butte de l'établissement, sous l'actuelle école maternelle, près du château d'eau, qui pouvait contenir 300 personnes. « Nous les jeunes, nous restons près de l'escalier de sortie. Nous dormons à même le sol, les unes sur les autres, changeant souvent de position... ».

Le lendemain, lundi 8 août, un officier allemand accompagné de soldats armés fit signe à toutes les personnes qui s'étaient hasardées dehors et aux marins pompiers, de rejoindre l'abri, avec défense d'en sortir. « Que va-t-il se passer ? Avec ferveur nous nous mettons sous la protection de la bonne mère Sainte Anne et ensemble, nous récitons les Ave de notre chapelet ». Et c'est maintenant la deuxième nuit à passer dans l'abri, « deuxième nuit de lutte contre le sommeil et contre les puces ! Le calme revenu, les gens, épuisés, s'endorment. Mais cette vie devient très pénible, pas d'aération, seulement aux deux extrémités, pas d'air ni lumière, que des bougies ; pas de toilettes, seulement quelques seaux hygiéniques qui se remplissent mais que personne ne prend le risque d'aller vider de peur des obus. L'odeur devient insupportable, c'est une puanteur. Dès le lendemain se pose le problème de la nourriture... ». Sœur Hélène organisa une distribution de lait, (il y avait un bébé de huit mois dans l'abri). Les fermes de François et de de Félix Bouric, entouraient pratiquement l'abri, et grâce à leur aide et à celle du boulanger, elle put ainsi parer au plus pressé. François Bouric aimait rappeler que pour les ravitailler il se mettait un grand pot en métal sur la tête pour se protéger des obus ! Il continuait à travailler à la tombée de la nuit, à récolter ses choux, à livrer son cidre.

Mais l'ennemi ne désarma pas. Le 9 août, nouveau bombardement sur le bourg avec une pluie d'obus et de fusants incendiaires, « les maisons sont éventrées, les toitures s'effondrent au sol, plusieurs incendies se déclarent, le presbytère n'est pas épargné, le clocher particulièrement visé tient bon. Il n'y a que quelques blessés légers, et c'est miracle qu'il n'y eut pas de morts sous ce déluge… mais la chose la plus hideuse fut la mort de la famille Kerlau de la Montagne du Salut à l'aide de grenades lancées dans l'abri souterrain où elle s'était réfugiée ». La veille, le 8 août, ce fut au tour de cinq otages de Kerviec, dont un jeune de 14 ans, d'être sans raison fusillés à Manébos.

Le 11 août à 5h45, « un immense bruit, une secousse, telle une secousse sismique… Que se passe-t-il ? L'église et le clocher viennent de s'effondrer et leurs pierres ensevelissent tout le sanctuaire ». Les services de la Croix Rouge durent intervenir en particulier pour secourir les enfants et les personnes âgées. Après une semaine de vie d'enfer, la situation était devenue intenable, il fallait chercher refuge ailleurs, et c'est ainsi que le bourg de Caudan allait devenir complètement désert.

Notre commune avait chèrement payé sa liberté, qui n'était encore que partielle. Les troupes allemandes avaient en effet reçu de leur (très) haute autorité, l'ordre de garder coûte que coûte la base des sous-marins. Les troupes alliées avaient préféré contourner la ville et continuer leur marche en avant, laissant ainsi 26 000 hommes dans ce qui allait devenir la « poche de Lorient ». Il fallut attendre près d'un an, le 10 mai 1945, la paix enfin retrouvée quand le Général allemand Fahrmbacher remit son arme au Général américain Kramer dans le champ qui allait devenir celui de la reddition.