Le concile de Trente, en décrétant l’institution d’un séminaire dans tous les diocèses, ne pensait qu’à une maison unique, regroupant des enfants et des adultes dépassant la vingtième année. L’expérience imposa la nécessité d’établir deux établissements : le grand séminaire où vivaient et étudiaient les futurs prêtres et un petit séminaire où les jeunes «étudiaient la grammaire et les humanités»...
Il fallait séparer l’enfant des ordinands, car, « à la turbulence des jeunes devra succéder la gravité, à l’égoïsme instinctif de l’enfance l’esprit de sacrifice » et il fallait éviter aux ordinands le contact avec ceux dont « les aspirations frivoles et mondaines seraient de nature à compromettre leur vocation ecclésiastique ».
Les périodes troublées de la Révolution puis celles de l’Empire ne favorisèrent pas la création de petits séminaires et il fallut attendre l’an 1814 pour qu’une ordonnance royale reconnaisse aux évêques la liberté d’organiser, hors contrôle de l’Administration, l’enseignement en établissement religieux et de « placer un petit séminaire à la campagne et dans les lieux où il n’y avait ni lycée ni collège ». Maintenant il fallait trouver des locaux pour abriter cette institution. En 1802, avec le concordat, une ère nouvelle s’ouvrait pour l’Église, un temps de reprise lent et difficile.
Le Préfet du Morbihan avait cédé à l’évêque de Vannes (Mgr De Pancemont), la chapelle du pèlerinage de Sainte-Anne, mais les bâtiments qui l’entouraient étaient la propriété d’une Dame d’Esquelbecq. Ces bâtiments avaient abrité le couvent des Carmes*, puis, après la révolution, étaient devenus bien national, et par la suite bien privé. La propriétaire était toute disposée à vendre. La vente se fit à Paris le 8 janvier 1810 en présence de l’abbé Gabriel Deshayes, représentant de l’évêque, au prix de 25 000 francs offerts gracieusement par un révolutionnaire converti, du nom de Barré-Manéguen. Ce personnage mérite qu’on s’y attarde : avocat à Auray, il fut élu député en 1788 aux états généraux et devint administrateur dans cette même ville. En 1793, il fut le bras droit du commissaire de la Convention, le tristement célèbre commissaire Prieur de la Marne qui lui donna comme consigne de « traquer jusque dans les repaires les plus cachés ceux qui nuisent et travaillent à nuire à la République, tous ces animaux destructeurs de la liberté ». Il faut croire qu’il s’en acquitta parfaitement, car, en récompense de ses services, il fut nommé procureur général du Département. Mais M. Barré était-il aussi méchant qu’il le laissait paraître ? Toujours est-il que, dès le départ de M. Prieur, il fut pris de remords et s’employa à délivrer ceux qu’il avait lui-même jeté en prison. L’abbé Deshayes le convertit et, pour réparer son passé, il consacra sa grande fortune aux bonnes œuvres ; donnait-il d’une main ce qu’il avait pris de l’autre ?
Une médaille de la basilique (chapelle Keriolet), réprésente l’abbé Deshayes et M. Barré-Manéguen remettant le titre de propriété à Mgr De Bausset, évêque de 1808 à 1819. La maison acquise demeura sans destination spéciale pendant plusieurs années. En attendant son utilisation, l’abbé Deshayes en devint l’administrateur. On peut le considérer comme le véritable fondateur du petit séminaire de Sainte-Anne. Ordonné en mars 1792, nommé jeune curé d’Auray en 1805, Gabriel Deshayes n’avait pas tardé à se faire remarquer par ses qualités d’organisateur. On lui doit, entre autres, l’acquisition du couvent des Chartreux où s’établira une école de sourds muets (qui a gardé son nom) ainsi que de nombreux établissements scolaires. En 1821, il fut élu supérieur des congrégations des Pères Montfortains et des Filles de la Sagesse, s’installa à Saint-Laurent-sur-Sèvre où il décéda en 1841.
* Les frères Carmes sont des religieux contemplatifs et apostoliques qui partagent avec leurs sœurs Carmélites le même rythme de prières.